La Formule préférée du professeur

J’ai lu pour vous

 

La Formule préférée du professeur 

 

de Yôko Ogawa

La Formule préférée du professeur de Yôko Ogawa est un petit bijou d’humanité que j’ai découvert à l’occasion de mon séjour prolongé au Japon et sur les conseils de mon ami Roland, professeur de mathématiques à l’Université Lyon 1.

 

Un petit bijou, vous dis-je, surtout si vous aimez les mathématiques, la sincérité et le base ball…

 

L’histoire ?

Une aide-ménagère est embauchée chez un ancien mathématicien, un homme d’une soixantaine d’années dont la carrière a été brutalement interrompue par un accident de voiture, catastrophe qui a réduit l’autonomie de sa mémoire à 80 minutes.

 

L’idée est déjà originale et tentante… mais à la lecture de ce livre, vous découvrirez bien plus qu’une histoire… une sorte de voyage au pays de la tendresse et de la mémoire.

Nous l’appelions professeur, mon fils et moi. Et le professeur appelait mon fils Root. Parce que le sommet de son crâne était aussi plat que le signe de la racine carrée.

– Ooh, on dirait qu’il y a là-dessous un coeur plein d’astuce, avait dit le professeur en caressant sa tête sans se soucier d’ébouriffer ses cheveux.

Mon fils, qui portait toujours une casquette parce qu’il détestait les moqueries de ses camarades, avait rentré le cou dans les épaules, sur ses gardes.

Parmi les choses innombrables que le professeur nous a enseignées, à mon fils et à moi, la signification de la racine carrée occupe une place importante. D’ailleurs, je crois que le mot innombrable pourrait ne pas lui plaire, à lui qui croyait que toute l’organisation du monde pouvait s’expliquer avec des chiffres. Mais je me demande comment je pourrais le dire autrement. Il nous a appris les nombres premiers jusqu’à la classe des centaines de mille, ainsi que les nombres les plus grands du « Guinness Book » utilisés dans les démonstrations mathématiques, et aussi les notions qui dépassent l’infini, mais je peux toujours énumérer ces choses-là, elles sont sans commune mesure avec la densité des heures que nous avons passées avec lui.

On a du mal à croire que le professeur, un génie, a besoin de coller sur sa veste des dizaines de post-it pour réactiver sa mémoire au quotidien… Et pourtant, cette mémoire qui s’efface au bout de 80 minutes nous fait vivre les relations humaines avec une intensité indicible.

Ces problèmes de mémoire de la vie courante nous pose finalement une question plus essentielle encore, celle de la mémoire du cœur. Peut-on oublier ce que l’on a aimé ? Peut-on effacer ce qui nous a ému ? De la mémoire cognitive à la mémoire émotionnelle, nous naviguons avec plaisir au gré de cette rencontre inattendue.

Dès que je voyais des nombres premiers, je pensais au professeur. Les chiffres se dissimulaient n’importe où dans la vie quotidienne. Sur un ticket de supermarché, une plaque de porte, un horaire d’autobus, une date limite de consommation d’un paquet de jambon, une note de roof à un contrôle… Tout en restant fidèles à leur rôle officiel, ils protégeaient bravement leur signification d’origine dissimulée derrière.

 

J’ai reposé mon bras engourdi par le poids du livre, avant de me remettre à le feuilleter en pensant à Leonhard Euler, considérer comme le plus grand mathématicien du XVIIIème siècle.  Je ne connaissais rien de lui, mais le contact de cette formule me donnait l’impression de sentir la température de son corps. (…) Si l’on additionnait 1 à e élevé à la puissance du produit de π et i, cela faisait 0.

Je crois que mon passage préféré est celui qui suit …

Ou comment les mathématiques se font poésie…

J’ai regardé la note du professeur. Un nombre qui jusqu’au bout restait périodique et un chiffre vague qui ne montrait jamais sa nature véritable arrivaient à un point après une trajectoire concise. Alors qu’aucun cercle n’apparaissait, π descendait en voltigeant d’un point insoupçonné de l’espace pour rejoindre e et serrer la main du timide i. Ils restaient blottis sagement l’un contre l’autre, et il suffisait qu’un être humain ajoute seulement 1 pour que le monde change sans aucun signe avant-coureur. Tout se retrouvait dans le 0.

La formule d’Euler brillait comme une étoile filante dans les ténèbres. C’était une ligne d’un poème gravé à l’intérieur d’une grotte obscure.

Root, la veuve, les Tigers… et Enatsu… Entrez dans le monde très particulier du professeur ! Vous ne le regretterez pas ! Vous y ferez la rencontre de … vous même…

Lorsque Root ayant soufflé ses bougies, nos applaudissements se sont tus, nous avons rallumé dans la pièce, et le professeur s’est aperçu qu’une de ses notes était tombée sous la table. Si l’on pense à létat de confusion dans lequel il était plongé à ce moment-là, on peut dire que ce fut, pour lui comme pour Root, un heureux hasard de circonstances. Sur la note était inscrit le nom de l’endroit où était rangé le cadeau d’anniversaire de Root. (…)

Je me suis aperçue aussitôt à quel point le professeur n’avait pas l’habitude d’offrir de cadeaux. Il lui tendit le paquet comme s’il souffrait terriblement à l’idée qu’il puisse ne pas vouloir l’accepter. Et il avait l’air gêné, ne sachant pas comment se comporter vis-à-vis de ce petit garçon qui se jetait à son cou pour l’embrasser.

Bonne lecture !

 

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